Transparent Postcards

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jeudi 4 juin 2015

Madeleine (Bevis Frond)

prisme triangulaire
Pour expliquer comment j'en suis arrivé là il
faut d'abord que je revienne en arrière d'un an ou deux.

J'avais douze ans ou presque, je rentrais
d'Afrique et j'avais chopé un sérieux virus nommé Led Zeppelin.

Douze ans ou presque, pas d'argent de poche, mais
j'avais une grande mission archéologique à accomplir: compléter la
discographie de ma mère, acheter les vinyles de Led Zep qui n'étaient pas
rangés avec les autres dans le petit placard en bois au-dessous de la
platine Telefunken.

Alors voyons, il y avait le I, le II, le IV,
il fallait donc que je me procure le III de toute urgence. Après le IV je
rentrais en territoire inconnu, je savais même pas à quoi pouvaient
ressembler les pochettes des autres (c'était pas les magazines de musique
destinés aux gamins de mon âge qui allaient me l'apprendre, leur fonction
éducative se limitant à nous donner une idée de la distance sidérale qui
s'étendait entre les tétons et le nombril de Samantha Fox).

C'est ainsi qu'un jour, après avoir été
récompensé d'une somme faramineuse, me permettant de négocier, à défaut
d'un vinyle, l'achat d'une cassette, je notai, à l'aide du gros grimoire
aux pages jaunes, les adresses de tous les magasins de disques du quartier
(au nombre de 3) et je poussai ensuite mes explorations aux limites du
monde connu, ou du moins de la surface que me permettaient de parcourir
mes pieds, seul moyen de locomotion autorisé, sous contrainte de revenir à temps
pour le goûter et les devoirs qui s'ensuivaient. 

Je n'eus pas de chance avec le premier magasin, qui avait définitivement baissé 
le rideau quelques mois auparavant.

Le second ne vendait que de la variétoche italienne.

Le troisième allait changer ma vie.

Je n'y trouvai pas tout de suite le Graal
tant convoité, mais, ayant réussi à vaincre mes réticences, je pus m'adresser
au vendeur et je repartis vers le goûter avec la promesse qu'il allait faire ce
qu'il pouvait pour commander la perle rare. Je repartis aussi sans argent, mais
avec une cassette Best of AC/DC que le vendeur avait réussi à me refourguer et
qui me permit de tenir pendant les longues semaines qui allaient s'écouler
avant mon anniversaire, source d'espoir d'un pactole bien plus fabuleux.

Je dus patienter encore longtemps après
l'anniversaire, la commande n'était de toute évidence nullement aisée. Les
semelles de mes Clarks commençant à rétrécir à force d'allers-retours jusqu'au
bout du monde, je finis par laisser au vendeur mon numéro de téléphone.

Et puis un matin, deux ou trois siècles plus
tard, alors que j'avais perdu tout espoir, on m'invita à m'asseoir près du
combiné, en me disant: "C'est pour toi, c'est un monsieur d'un
magasin...."

À travers les spirales infinies du cordon
téléphonique, la voix du monsieur m'apporta la délivrance: il avait enfin
pu mettre la main sur une relique provenant de cette ère reculée où les garçons
étaient coiffés comme des filles. 

Ce n'était pas le III, fallait pas rêver non plus, mais c'était un Led Zeppelin 
quand même!

Etrange. Le disque ne portait pas de chiffre romain.
Pas de titre non plus sur la pochette, mais des images provenant d'un univers parallèle. Les petites filles blondes à la peau diaphane qui accouraient vers le soleil et le sacrifice qui se déroulait de l'autre cô allaient me nourrir en rêvés extatiques et en cauchemars dantesques pendant de longues années...
Mais surtout il y avait cette chanson, tellement différente de tout ce que je connaissais, avec son piano liquide, ses échos stellaires et ce son de guitare qui semblait provenir de quelque caverne extra-terrestre. Non, décidément cette chanson ne faisait pas de quartier avec mon cerveau. Quelque chose clochait, forcément, puisque ça ne ressemblait à rien de connu. Il fallait donc que je perce le mystère, que je l'écoute encore et encore, mais plus je l'écoutais plus le mystère s'épaississait, jusqu'à ce que je sois totalement envoûté. Je finis par faire écouter tout ça à ma mère, dans un mélange de honte et de crainte, comme si je m'étais résigné à montrer les ravages déjà avancés provoqués sur ma peau par une maladie terrible et inconnue que j'aurais essayé de cacher maladroitement. Elle ne connaissait pas ce morceau (normal, il avait été publié après ma naissance, après donc l'ère préhistorique où elle avait dû émettre, en compagnie de milliers d'autres créatures velues, des cris bestiaux en direction des idoles aux sceptres électriques). Elle dit, je m'en souviens très bien: "C'est beau ça. Très psychédélique. On dirait Pink Floyd" Si seulement elle avait su ce que ces quelques mots allaient engendrer en moi! La pommade qu'ils m'offraient, au lieu de panser les déchirures du réel provoquées par ces premières poussées oniriques
allait complètement me transfigurer de lumières et de sons.
C'est ainsi que je plongeai dans le prisme triangulaire, de l'autre côté de la lune. 

Et puis il m'en fallut plus. Je cherchai d'abord en suivant la flèche du temps, 
qui paraissait pointer vers un mur blanc.

Mais au bout d'un certain temps le mur ne me suffit plus non plus, 
la dureté de l'air qu'il emprisonnait ne me permettant pas de voltiger comme 
j'avais pu le faire autour de l'astre lunaire.

J'entamai alors un voyage dans la direction opposée. 

Je croisai au cours de mon périple toutes sortes d'animaux: des cochons
des chiens, des moutons, une vache...

Je contournai à nouveau la lune....Je
voyageai ensuite à l'intérieur d'une grotte en forme d'oreille, dont la
sortie donnait sur un moulin aux couleurs inversées....

Plus loin, toujours plus loin....

Il y avait bien cet autre disque dans la collection de ma mère, mais déjà la pochette 
n'avait rien à voir avec tous ces voyages, elle était juste hyper moche, avec ses lettres dorées en
relief. Et ce titre à deux balles, "Masters of Rock". 

Il devait s'agir sans doute d'une compil' publiée en toute vitesse par quelque 
marchand vénal dans le seul but d'attirer l'ignare chaland. 

Et puis, surtout, cette musique....Ça ne ressemblait à rien de ce que je connaissais de Pink Floyd. 

Était-ce seulement le même groupe? Je ne reconnaissais même pas les voix....Oui, une opération
commerciale avec des fonds de tiroirs sans doute....Et qu'est-ce que c'était
que ces comptines musicales? Je n'avais plus six ans, quand même! Ayant déjà
dépassé le double au compteur, je pouvais m'enorgueillir de mon goût sûr pour
l'adult rock et ses visées autrement plus artistiques.

Oui, décidément ça ne ressemblait à rien, ce disque.

Et encore une fois, puisque ça ressemblait à
rien, il fallait que je perce le mystère.

Et à nouveau, à force d'écouter, je fus
complètement envoûté.

Je finis par apprendre l'histoire de Syd Barrett
J'en fis mon idole avant même de passer le portail de l'aube.
C'est que le marchand de disques était désolé mais, malgré mes demandes répétées, il ne pouvait vraiment pas me fournir les clés du portail, c'était hors de sa portée. Il finit par me glisser un bout de papier où était griffonnée l'adresse d'un magasin qui pourrait peut être m'indiquer le chemin emprunté par le mystérieux joueur de fifre. Avec tous ces voyages, ces accumulations de cartes géographiques et astrales, mon univers s'était considérablement étendu, mais là, quand même, ce nouveau magasin était VRAIMENT loin, fallait prendre non pas un mais deux bus, et marcher longtemps après ça.
Je réussis à m'y faire accompagner par mon grand-père.
Nous rentrâmes dans la caverne d'Ali Baba sans même avoir à prononcer de  formule magique! Un magasin SPÉCIALISÉ dans le psyché!! 
Des montagnes de disques aux pochettes bariolées dont je ne soupçonnais même pas l'existence!!!
Trop fier cette fois-ci pour m'adresser au vendeur, j'entrepris une fouille minutieuse 
des lieux, jusqu'à ce que mon grand-père s'impatiente et que je me rende compte 
de l'énormité de la tâche. Je ravalai mon orgueil et me dirigeai vers le comptoir. Les
premiers mots du vendeur faillirent me faire chialer comme....
pffff....comme un gamin.
"Non, je l'ai plus et ça va être
difficile de le ravoir celui-là....mais j'ai ça par contre"

Qu'est-ce qu'il essayait de me fourguer,
celui-là?

Encore une compil' douteuse, avec en titre un jeu de mots
racoleur que j'étais désormais en mesure de comprendre, "A nice pair".
Et des seins nus sur la pochette avec ça (faut dire que la paire en question était
autrement plus sexy que les ballons d'anniversaire siliconés de la Renarde, et
je commençais justement à être sensible à ces choses-là, pour peu qu'elles
paraissent humaines...).

Après avoir ouvert la pochette double pour y
lire les titres des morceaux, j'arrêtai de me prendre pour un adulte et
j'eus à nouveau six ans, en compagnie du Père Noël et de la Fée Dents de
Lait: les deux premiers disques de Pink Floyd ensemble sous le même
toit!!!
Je dus faire un beau caprice pour que mon grand-père consente à débourser
le double de la somme prévue.....
Dans l'année qui suivit je fis de ce magasin mon aire de jeux favoris
Jusqu'à ce que le vendeur se tire une (toute
petite) balle dans le pied en me faisant découvrir la musique moderne par
le biais d'un groupe au nom de bigots et de leur disque en forme de bonbon
psychotique.

Mais avant ça j'eus le temps de découvrir,
dans la collection de ma mère, deux disques de Jimi Hendrix. Je pus
évidemment compléter la collection grâce à Monsieur Baba. Et c'est suite à ces
achats qu'il me dit un jour: "Si t'aimes Hendrix tu devrais écouter
ce truc qui vient de sortir" et que je finis par acheter Miasma, de
Bevis Frond.

Maintenant j'y entends plein de trucs,
Hendrix bien sûr, mais aussi Blue Cheer et même des échos des Stooges ou
de Big Star, voire du Dead Moon.... 
A l'époque je connaissais rien de tout ça,
mais ce disque est à mes yeux et mes oreilles le pont entre la fin de mon
enfance et le début de mon adolescence, entre Syd Barrett et Jesus &
Mary Chain, entre les sixties et le punk rock.
Je l'ai revendu, comme un con, au début des 90s, le jugeant à ce moment-là trop passéiste pour un disque moderne.
Mais des fois je retombe dessus, sur le net. 
Et depuis quelque temps ça a pris un drôle de gout de madeleine Quant à savoir si c'est parce que c'est lui qui a bien vieilli ou moi qui vieillis mal, je m'en tape ma paire à moi.
 










1 commentaire:

T. a dit…

merci Migou Liebe pour ce petit goût d'avant. J'adore!